Histoire de la rumba flamenca

2. La différence entre la rumba catalane et la rumba flamenca

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La rumba flamenca est née à Cadix, à la fin du XIXème siècle

La musique voyageait dans les deux sens entre les colonies espagnoles et l’Espagne

La rumba catalane partage avec la rumba flamenca une origine commune, le flamenco, et une étiquette, la rumba. La rumba flamenca andalouse date du XIXe siècle.

La musique, ou le mélange permanent des cultures

Pour les musicologues espagnols, il fait partie des « cantes de ida y vuelta », chants « d’aller et de retour » , emportés par les marins andalous de Cadix sur les navires marchands à destination de l’Amérique latine, revenant en Espagne imprégnés de sons et de rythmes latino-américains et afro-américains.

La rumba flamenca est considérée par les musicologues comme un sous-genre de la guajira andalouse, en référence à la guajira cubaine, sans rapport avec la rumba. La plupart des formes de la guajira andalouse sont basées sur le compás des tangos, de tempo divers, et avec quelques syncopes caractéristiques, sans rapport avec le tango argentin.

Bref, pour le commun des mortels, on s’y perd.

La pionnière du genre est Pepa de Oro (1871 – 1918), originaire de Cadix, célèbre pour ses milongas, ses rumbas – et ses cigares cubains. Ses séjours en Argentine lui ont donné une certaine légitimité auprès de son public.

Pepa de Oro, pionnière de la Rumba Flamenca en Andalousie
Pepa de Oro

Une grande variété d’emprunts et de styles

Les premiers enregistrements connus de rumba flamenca, par Antonio Chacon en 1913 et La Nina de los Peines, en 1917, montrent que ce style n’a pas grand-chose à voir avec la rumba cubaine de l’époque, à proprement parler.

Pour faire simple, les Sévillans ont regroupé sous le terme générique de « rumba flamenca » divers emprunts à la musique populaire latino-américaine de l’époque.

On y trouve souvent des motifs qui font référence à la milonga argentine (elle-même inspirée de la habanera et du candombe), ainsi qu’à la trova et à la guaracha cubaines, entre autres.

Un enregistrement de rumba flamenca, interprété par Pepe de la Matrona, qui a séjourné à Cuba de 1914 à 1917, propose un style sans rapport avec les premiers enregistrements historiques.

Au XXe siècle, la rumba flamenca andalouse a été remise au goût du jour dans les années 1960, interprétée par des chanteurs gaditans tels que Beni de Cadiz ou Chano Lobato. Voici deux exemples de rumba flamenca andalouse moderne.

Beni de Cadiz
« Un Cubano llego a cai »
Chano Lobato et Chano Ramírez
« Rumba »

La différence de style avec la rumba catalane, apparue dans les mêmes années que ces deux derniers enregistrements, semble évidente. Oui, mais … Nous verrons plus loin pourquoi ce n’est pas si simple.

La rumba flamenca est un genre populaire, en tant que tel il n’a jamais eu de règles, ni aucune sorte de « pureté ». Il faudrait la figer dans le temps pour en tirer de telles conclusions. Or elle évolue. Elle ne peut pas être définie, étiquetée avec précision, et cela n’a pas vraiment d’importance. Bien sûr, les musicologues ne seront pas forcément d’accord.

Rumba flamenca et rumba catalane, convergences et divergences

L’expression rumba flamenca est très souvent utilisée par les Gitans eux-mêmes pour décrire tout air plus facile à danser et moins exigeant que les styles flamenco traditionnels.

Cependant, elle est souvent utilisée pour qualifier un genre comme la rumba catalane qui, selon eux, ne fait pas pour autant partie du flamenco. Alors pourquoi l’utilisation de l’adjectif « flamenca » ?

Une question politique, datant de l’époque franquiste

N’oublions pas que la rumba catalana était à l’origine simplement appelée « rumba » , ou « rumba flamenca » . Sous le régime franquiste, toute référence à la culture catalane était strictement interdite dans l’espace public. C’est un musicien étranger vivant à Barcelone, l’Argentin Gato Pérez, qui a ajouté le label « catalana » , à la fin des années 70, après la mort de Franco.

Le régime franquiste, dans sa schizophrénie culturelle, n’a cessé pendant quarante ans de harceler les Gitans, tout en encourageant le genre flamenco à des fins touristiques, en utilisant ses artistes les plus célèbres. Pour plus d’informations : sur le « nacional-flamenquismo » .

On pouvait donc utiliser sans risque l’expression « rumba flamenca » , qui avait une connotation positive pour le régime franquiste. Pas « rumba catalana » .

Avec le simple terme « rumba » , elle fut l’expression commune pour définir la rumba de Barcelone, depuis ses débuts à la fin des années 1950 jusqu’à la fin de son âge d’or, en 1975.

L’étiquette « catalane » s’est ensuite imposée après la mort de Franco, dans la foulées des revendications culturelles régionales réaffirmées, et ce label est resté jusqu’à ce jour.

Certains musiciens gitans barcelonais ne sont pas tout à fait d’accord quant à l’utilité de la marque d’identité « catalane » , notant que la rumba traditionnelle de Barcelone s’est dégradée depuis et s’est transformée en une musique pour touristes. D’autres facteurs entrent en jeu, le gouvernement local s’en est servi pour promouvoir le tourisme, mais le soutien institutionnel à la culture et aux groupes gitans a été rare. Aurions-nous affaire à un cas de « regional-rumbismo » ?

Barcelone 92 : capitaliser sur l’identité catalane

Prenant note du succès international des Gipsy Kings à la fin des années 80, la ville de Barcelone a investi dans l’identité culturelle de la rumba catalane, faisant de celle-ci un élément de communication pour les Jeux olympiques de 1992, propulsant Peret, Los Amaya et Los Manolos sur scène devant un milliard de téléspectateurs. L’idée étant de dynamiser l’industrie touristique locale. Il convient toutefois de noter que le répertoire choisi pour les Jeux Olympiques de Barcelone ne comportait que peu de références musicales à la culture gitane catalane.

Cela s’est finalement retourné contre les musiciens locaux. Désormais, Barcelone est identifiée comme la capitale mondiale de la rumba catalane. Cet objectif a été brillamment atteint. Cependant, les Gipsy Kings s’étaient simultanément imposés comme la référence du genre. Les touristes étaient de retour, mais ils voulaient désormais entendre les airs des Gipsy Kings, et non le répertoire des groupes locaux. Jusqu’à aujourd’hui, la scène locale a dû s’y plier pour survivre.

La reprise par Los Manolos de la chanson des Beatles « All my loving » n’était peut-être pas une bonne idée, si l’intention initiale était de promouvoir une identité musicale forte.

Los Manolos chantant les Beatles devant un milliard de télespectateurs

Le point de vue des Gitans français

A la même époque, les Gitans français ont adopté ce nouveau style venant de Barcelone, reprenant donc le terme de rumba, bien que leur façon de jouer ait encore moins à voir avec le genre de la rumba cubaine que celle de leur cousins espagnols. Et, dans leur cas, davantage à voir avec le flamenco.

Ils l’ont donc tout au début appelé rumba flamenca. Un choix naturel, puisque la rumba flamenca avait historiquement toujours été le genre pour la musique festive et libre, faite pour absorber toutes les influences bienvenues.

Les revendications associées à une identité culturelle territoriale sont néanmoins importantes. Pour les musiciens de la Catalogne française (Catalogne du Nord, pour être précis, la partie sud étant en Espagne), dont les familles sont arrivées dans le Roussillon au XVème siècle, c’est l’appelation rumba catalane qui prévaut depuis la fin des années 70. Mais les plus célèbres d’entre eux, les Gipsy Kings, l’appellent indifférement rumba catalane et rumba flamenca.

Candidature pour la rumba catalane au patrimoine immatériel de l'unesco

Les musiciens gitans catalans ont lancé une initiative visant à faire inscrire la rumba catalane au Patrimoine culturel immatériel de l’Unesco.

Sous l’étiquette Rumba Catalana, on trouve un certain nombre de styles complètement différents les uns des autres

Voici deux rumba catalanes, de la même époque. « Borriquito » , un succès international en 1971, est de Peret, l’un des pères fondateurs de la rumba catalane. L’autre rumba – le titre semble avoir été perdu, s’il en a jamais eu un, car il s’agissait surtout d’improvisation – est jouée par Manitas de Plata à la guitare, chantée par son fils Manero Baliardo et Jose Reyes. (Les Reyes et les Baliardo créeront plus tard les Gipsy Kings, et l’on peut déjà entendre d’où vient leur son).

L’origine gitane catalane de ces deux morceaux mis à part, sur le plan musical, il est difficile de faire le lien.

Manitas de plata, Jose Reyes
« Rumba »

La rumba catalane a toujours été faite de fusion des genres depuis le début, tout comme on peut faire une bonne paella de différentes manières, avec de la viande, des fruits de mer, etc.

Peret

La rumba flamenca est l’expression populaire du flamenco – brûlante et passionnée – une expression de notre bonheur et de nos attitudes sensuelles – comment nous faisons face à la vie. Je crois que chaque génération a sa propre interprétation de la façon de jouer la rumba flamenca.

Nicolas Reyes – Gipsy Kings

Ces deux citations résument assez bien la situation. La rumba catalana est un genre en constante évolution, tout comme l’a toujours été la rumba flamenca.

Tous deux ont été ouverts à l’expérimentation dès le début, embrassant une variété de styles différents au fil des décennies. Les deux genres sont liès, la rumba catalane est aussi le fruit d’une évolution de la rumba flamenca, genre d’origine andalouse, né pour absorber diverses influences afro-cubaines, tout comme la rumba catalane.

La différence étant, en plus des apports musicaux spécifiques, une question d’identité territoriale, en raison d’une identification des Gitans catalans français et espagnols à la culture catalane depuis 6 siècles. Sachant que ces derniers insistent sur le fait que la rumba catalane n’est pas flamenca.

Pour conclure : créditer la culture gitane sans l’enfermer

Le dénominateur commun étant une musique festive populaire jouée par les Gitans, baptisée rumba, l’expression rumba gitane est pour certains celle qui en souligne le mieux l’origine, tenant compte de son évolution, englobant tous les styles associant le terme « rumba » et la culture gitane. Une définition trop large, rétorquent certains. Mais ne dit-on pas jazz manouche ?

Encore que dans ce dernier cas il y ait également des divergences de point de vue. L’un de ses plus fameux représentants contemporains, Bireli Lagrène a l’habitude d’affirmer que le jazz manouche n’existe pas, souhaitant ainsi exprimer que toute forme d’appropriation ou d’identification identitaire est nocive à ses yeux. Si le genre a bien été créé par les manouches, il ne leur appartient pas, se devant au contraire d’être ouvert à tous les musiciens pour évoluer et s’enrichir, plutôt que d’entrer au musée, d’être figé par une classification musicologique mortifère. Autrement dit le métissage, à l’origine de tous les genres, est l’essence d’une musique vivante.

AU PROCHAIN CHAPITRE :

Quelles étaient les sources d’inspiration musicale de la rumba flamenca au début du XXe siècle, si ce n’était pas de la rumba à proprement parler ? Que pouvait écouter un gitan andalou à cette époque ? Pour le savoir, nous irons à Cuba et voyagerons dans le temps, au début du XXe siècle. De là, nous remonterons jusqu’aux années 30 et découvrirons que le roi de la rumba de l’époque était… un Catalan.