Histoire de la rumba flamenca

7. 1975 : mort d’un dictateur, la rumba catalane en déroute

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Avec la mort du dictateur Franco, la rumba catalane est en mauvaise posture

Les Gitans sont pris dans la tourmente d’une réaction culturelle radicale

A la mort du Caudillo en 1975, l’Espagne fut prise d’une envie de progrès radical, qui devint le leitmotiv des partis démocratiques. Il s’agissait de régler les comptes avec le passé, avec la culture, telle qu’elle avait été façonnée par la dictature. La musique populaire fut la première visée. La copla, un genre musical issu du folklore andalou, et la rumba de Barcelone, furent accusées d’avoir été « la bande-son du franquisme« , « frivole » , « réactionnaire » et « décadente » .

Les Gitans n’avaient pas été politisés, ni n’avaient milité contre Franco. Au contraire, selon leurs accusateurs, ils avaient contribué – ce qui était vrai mais avaient-ils le choix ? -, au « nacional-flamenquismo » , politique culturelle officielle du régime au service du développement touristique de l’Espagne. Celle-ci ne faisait, bien entendu, presque aucune référence aux Gitans. La musique et les danses étaient présentées comme espagnoles, socialement, formellement et ethniquement blanchies. A l’international cette politique fut un grand succès, provoquant un afflux massif de touristes.

L’inventeur du genre, El Pescailla, et son épouse Lola Flores – qui avait également été une grande chanteuse de copla – avaient été régulièrement invités par le couple Franco et furent montrés du doigt. De nombreux autres artistes de rumba catalane subirent le même sort. Même Peret n’échappa pas aux critiques, pour avoir été en 1974 le représentant officiel de l’Espagne au concours Eurovision de la chanson.

Le mépris était passé à gauche.

L’amalgame était cruel, car depuis quarante ans, les Gitans espagnols avaient été les victimes d’un régime qui tout en exploitant l’image du folklore gitan et des artistes populaires gitans à des fins touristiques, n’avait jamais cessé, sur le plan intérieur, de véhiculer les stéréotypes traditionnels attachés aux Gitans pour les transformer en contre-modèle social, usant d’une communication violente, organisée, relayée par la totalité des médias espagnols, sous contrôle.

Galvanisée par le vent de liberté qui soufflait sur l’Espagne, une grande partie de la jeunesse espagnole s’est détournée du genre, devenu à ses yeux dépassé, associé à la ringardise espagnoliste de l’ancien régime.

Dans la seconde moitié des années 1970, la rumba catalane perd du terrain. C’est l’époque où, ignorés de toutes parts, de nombreux gitans espagnols se tournent vers l’église évangélique. Beaucoup de musiciens raccrochent leur chapeau, comme Peret, qui devient pasteur.

Pourquoi l’Église évangélique ?

Le pape Pie XII ayant déclaré que l’Espagne de Franco était « le pays choisi par Dieu« , le clergé espagnol fut un fidèle allié de Franco pendant 40 ans. En dépit de leur foi catholique historique, les gitans espagnols ne furent guère considérés par l’Église catholique durant cette période.

Les évangélistes de l’église de Filadelfia, de confession protestante et de courant pentecôtiste, fondée par El hermano Emiliano, un pasteur rom, se sont fortement développés après la mort de Franco, accueillant ces ouailles en mal de reconnaissance, abandonnées par l’église.

El hermano Emiliano avait été formé en France par le pasteur pentecôtiste breton Clément Le Cossec, fondateur de la Mission évangélique des Tziganes de France – Vie et Lumière, bienfaiteur de la communauté, auquel il a consacré sa vie. Le visionnage de ce petit documentaire est recommandé.

Les débuts de Vie et Lumière – avec Clément le Cossec (1975)h

Dans le prochain chapitre :

La rumba catalane a été sauvée de l’oubli par un immigrant argentin, Gato Pérez, qui a incarné la renaissance de la rumba catalane dans l’ère post-franquiste. Il a d’ailleurs été le premier à appeler le genre « rumba catalana », renforçant à jamais son identité culturelle.