Histoire de la rumba flamenca

10. Gitans espagnols, rumba et Movida

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Les Gitans à l’époque de la Movida, un portrait de famille

A l’époque où l’Espagne se cherche un nouveau chemin démocratique, les Gitans souffrent encore d’une image associée au passé

Comme c’est souvent le cas dans les groupes de musiciens gitans, la famille est fondamentale

Face au succès commercial de la rumba catalane, partout en Espagne, des familles historiquement ancrées dans le flamenco se sont mises à jouer de la rumba, avec l’espoir de jours meilleurs. Comme les Salazar, venus d’Estrémadure à Madrid, dans le quartier de Vallecas, vivant dans une extrême pauvreté. Le père, Jose Salazar Molina, connu sous le nom de Porrinas de Badajoz, était l’un des grands chanteurs de flamenco du XXe siècle.

Salazar de Madrid - Los Chunguitos & Azucar Moreno - Histoire des Quinquis et de la rumba Vallecana
La famille Salazar – les futurs Los Chunguitos et Azucar Moreno

Les jeunes générations gitanes, critiques à l’égard du passé et de la « transition démocratique ».

Pour les enfants Salazar, la rumba est à la fois l’occasion de briser les clichés sur les Gitans et de remettre en question certaines traditions. Les sœurs Encarna et Toñi, formant le duo Azucar Moreno, se sont très tôt engagées dans la lutte pour l’émancipation des femmes gitanes.

Exubérantes, provocatrices, n’hésitant pas à partager la une d’un magazine érotique avec Madonna, elles sont encore aujourd’hui des icônes populaires, après avoir été des « influenceurs » avant l’heure.

Elles ont commencé leur carrière musicale comme choristes du groupe Los Chunguitos, pionniers de la rumba taleguera, créé par leurs frêres. Celui-ci deviendra l’un des groupes phares de la scène gitane espagnole, plébiscité par les classes populaires.

Comme tous les Gitans de l’époque, ils ont dû subir l’hypocrisie de la gauche espagnole de l’époque, qui méprisait les Gitans « incultes, réactionnaires et sans ambition » , accusés d’avoir participé à la propagande culturelle de Franco.

Tournant le dos à la culture populaire, résolument apolitiques, les participants à la Movida ne furent pas non plus très compatissants, se moquant de ce qu’ils considéraient être une culture ringarde, avec une musique « inécoutable » .

La Movida fut un important mouvement culturel créatif, initié depuis Madrid, à la fin de la période de transition démocratique espagnole, au début des années 1980, après la mort du général Franco. Avec le cynisme, la cocaïne et la débauche, la volonté de subversion qui couvait depuis un certain temps avant la mort de Franco céda rapidement la place à un désir de consommation, d’hédonisme et de transgression. Les idéaux de justice sociale furent remplacés par un désir d’ascension sociale, auquel les Gitans ne furent pas conviés.

Porrina de Badajoz – Déjame Que Beba Vino
(Fandangos de Huelva)
Azúcar Moreno y Tijeritas
« Debajo del olivo »
Azucar Moreno
« Torero »
Los Chunguitos y Azucar Moreno
« Encadenado »
Los Chunguitos
« Prisionero »
Los Chunguitos
« Dame Veneno »
Los Chunguitos
« Me llaman el loco »
Los Chunguitos
« Vive Gitano »

La Movida disparait, la rumba taleguera demeure

Il est désormais admis que la Movida fut avant tout un spectaculaire simulacre de contre-culture, Une provocation inoffensive, apolitique, servant d’exutoire à la jeunesse des classes moyennes et bourgeoises, jusque-là privées de liberté, engluées dans une réalité morale anachronique coupée du monde moderne. Les classes populaires n’étaient pas invitées.

Un rituel de passage dans la réalité apolitique du consumérisme moderne, renchérissent certains, comme Victor Lenore – le Philippe Manoeuvre espagnol, en moins gentil, pour tenter une comparaison – auteur d’un livre choc, Espectros de la movida: Por qué odiar los años 80.

Movida et rumba flamenca taleguera
Ouka Leele – El Beso – 1980

La Movida s’est éteinte aussi vite qu’elle avait commencé, laissant peu de traces durables de sa révolution culturelle, comme un bateau coulant avec tous ses passagers, pour ainsi dire, lorsque son capitaine, Tierno Galván, maire de Madrid, qui avait fortement encouragé et subventionné le mouvement, meurt en 1986. La fête était finie.

Kaka Deluxe – Le punk rock version Movida
« La Tentacion »
Alaska – La plus grande star de la Movida
« Bailando »
Mecano – « Perdido en mi habitacion »
Tino Casal – « Eloise »

Les groupes gitans de rumba taleguera s’installent durablement dans le paysage culturel

La musique des groupes gitans était, quant à elle, devenue le standard des laissés-pour-compte de la société espagnole, victimes de la ghettoïsation urbaine commencée dans les années 1960, et connaîtra un succès durable.

La rumba taleguera a continué à occuper le devant de la scène populaire jusque dans les années 2000 et la plupart des groupes gitans des années 70 ont depuis acquis un statut culte ainsi qu’une reconnaissance institutionnelle. A partir des années 2010, les Espagnols ont eu droit a des rétrospectives quinqui officielles.

Se moquant des institutions, l’esprit des quinquis est toujours bien vivant, une source d’inspiration majeure pour la scène rap espagnole, qui se moque fréquemment de la Movida.

El Coleta – MOvida Madrileña

AU PROCHAIN CHAPITRE :

La rumba taleguera devient la bande-son d’un nouveau genre cinématographique, « el cine quinqui », un genre populaire, nourri de sexe, de drogue et de violence, dénonçant l’abandon des quartiers pauvres de la périphérie madrilène.